Les réactions sont souvent mélangées devant le message évoquant les cataclysmes à venir et la Transformation
de la Terre, même chez une seule et même personne. Peu de gens imaginent avec plaisir de voir disparaître un
cadre de vie confortable, même s'ils considèrent que leur vie quotidienne est un fardeau. Dîner autour d'une
table et avec un toit au dessus de la tête par temps de pluie n'est pas une chose négligeable, et il n'est pas très
agréable d'envisager d'autres possibilités comme celle de se blottir sous un arbre en tremblant de froid,
trempé, ou bien essayer d'attraper des larves d'insectes dans un tronc d'arbre pourri. Mais comme c'est
souvent le cas, l'issue de la catastrophe est enjolivée pour que ces désagréments passent après tout le reste, et
l'on en fait plutôt prévaloir les avantages. Les psychologues savent que plus une situation est éloignée d'une
personne, moins elle y répond de façon aigue. Il se développe donc des conflits intérieurs entre la volonté de
repousser l'idée ou de la faire sienne, et une hésitation permanente entre les deux choix.
Les catastrophes majeures, qui rendraient non seulement possible mais aussi probable la disparition d'un
travail sans intérêt, d'une enquiquineuse de femme, de voisins insupportables et du manque d'opportunité que
l'on a pour changer son mode de vie, offrent l'occasion d'oublier tous ces ennuis et ces fardeaux. La gêne
qu'introduira la catastrophe est loin, donc ressentie avec peu d'intensité, mais les désagréments du quotidien
sont là, tout proches et personnels, et très aigus. La catastrophe est donc vue comme un avantage,
globalement. En réalité, pour la grande majorité des humains, les bases nouvelles que les cataclysmes
introduiront porteront le même bagage que celui trimbalé jusqu'avant le basculement des pôles. Ce bagage est
le lot propre des humains, et selon toute probabilité donc, les mêmes types de rapports humains se remettront
en place, les mêmes engagements seront pris, on évitera comme avant les responsabilités, on aura avec
l'autorité le même type de conflit, les inhibitions sexuelles seront les mêmes : tous les vieux problèmes se
remettront en place dans ce nouvel état de fait.
La différence qu'introduiront ces nouvelles bases ne se situe pas dans les affaires personnelles mais dans les
affaires sociales, car là, la direction que prendra la vie des humains est parfaitement indépendante des projets
personnels de chacun d'entre eux. Un homme peut avoir choisi sa femme et son travail, dans une large mesure,
ainsi que les engagements et les obligations dont il s'est volontairement encombré, mais quand cela aura été
plus ou moins imposé par la communauté dans laquelle il vit, ces liens seront coupés lors de la catastrophe à
venir. Lui et sa femme auraient ils divorcé s'il n'y avait pas le problème de la pension alimentaire, la disparition
complète des carnets de chèques ou même la mort de la femme changent les données du problème. Aurait il
passé son temps à faire de la menuiserie et à fabriquer des meubles, son passe temps favori, s'il ne manquait
pas de temps à cause de son travail qui rembourse le crédit immobilier, cette obligation disparaît quand
l'employeur n'a plus les moyens de fonctionner, que les chèques sont une vieille histoire et le crédit un mauvais
rêve du fait que la maison est détruite et que de toute façon on n'a plus de nouvelle de la banque!