Il y a toujours, au cours du développement de n'importe quelle société, une volonté de contrôler totalement les choses. Ce désir de contrôle parfait affecte la position que peut atteindre l'individu ou la société: le monde tel que le conçoit cette personne. Ce désir de contrôle parfait commence au niveau de la cellule familiale, avec les frères et soeurs qui se disputent la maîtrise des jouets et l'attention de leurs parents, où avec les femmes du groupe qui rivalisent pour obtenir les faveurs du mâle dominant, ou avec les éléments mâles qui se mesurent entre eux pour se voir considérés à la tête de la maisonnée. La revendication est la suivante: c'est moi qui suis responsable. Je dirige l'affaire! La paix ne s'installe pas, dans aucune situation, avant que ce problème ne soit réglé. Du fait des nombreuses bagarres entre les enfants, ou des chamailleries entre les membres de la famille, on pourrait croire que ce problème n'est jamais réglé, mais c'est en vérité l'expression habituelle du ressentiment, et non des défis allant directement à l'encontre de l'ordre établi. La plupart du temps, l'aîné des enfants fait la loi sur ses frères et soeurs plus jeunes, la femme la plus ambitieuse se propulse elle-même à une position d'influence, et l'homme le plus fort ou celui qui fait le moins de sentiment se retrouve chef de famille.
Au delà de la cellule familiale, le désir de diriger les affaires affecte la communauté, où entrent en action des politiciens locaux, des chefs d'Eglise, ceux qui détiennent ou dirigent les industries locales, et les organisations dont la mission est de faire évoluer ceci ou cela. Tout le monde veut diriger les affaires. L'ordre établi court jusqu'à l'apparition d'un parvenu qui s'oppose aux dirigeants et propose des changements. Dans une communauté locale comme au niveau de la cellule familiale, le problème de savoir qui dirigera les affaires est souvent réglé par un changement. Un divorce dans la famille, les enfants jouant avec des camarades plutôt qu'avec leurs frères et soeurs, la vente d'une affaire ou l'établissement de celle-ci en un autre endroit, un politique battu aux élections allant rejoindre une autre communauté, ou un groupe religieux s'en allant prêcher là où leur ressentiment est le moins fort. Les jeunes désertent le milieu rural où l'ordre établi résiste à tout changement, et ils vont s'installer en ville où ils espèrent rencontrer d'autres jeunes qui pensent comme eux. Les entreprises justifient leur délocalisations ou le remplacement de leur personnel par la nécessité de faire du profit, quand c'est rarement la véritable raison de leurs actes.
Au niveau national, le changement se fait grâce à la formation de partis politiques ou le plus souvent à travers un mouvement qui n'est pas reconnu pour ce qu'il est. Le changement au niveau national est rarement le fait d'un individu isolé mais il nécessite des révolutions ou des rebellions qui sont menées par des individus. Les révolutions sont souvent silencieuses, comme l'est la révolution dans les communications qu'on voit aujourd'hui avec l'Internet, mais elles n'en créent pas moins de réels bouleversements. Si le changement apaise souvent les conflits familiaux, et qu'il est souvent la porte de sortie aux différends dans les communautés, il a du mal a prendre effet au niveau national. Il faut émigrer pour fuir, et les problèmes restent donc en suspens jusqu'à ce qu'un changement se fasse petit à petit et qu'un équilibre soit retrouvé: l'ordre établi. Quoi qu'il en soit, il est possible de bouger.
La Terre se transforme de plus en plus en une société unique, un seul monde. Les nouvelles sont internationales, les pratiques polluantes d'un pays donné affectent les pays voisins, la guerre au sein de telle nation en entraîne d'autres dans la bagarre, et la famine de tout un peuple provoque la migration de celui-ci vers d'autres frontières. La paix relative que l'on observe dans un pays donné est perturbée par le changement, et dans un monde qui rapetisse, les changements se produisent de plus en plus fréquemment. Si la délocalisation est une solution de choix au niveau familial, local ou même national, dans une société mondialisée, il n'y a nulle part où aller. On résiste alors au changement par le refus inflexible de céder ou en se précipitant vers des pratiques isolationnistes. Mais à moins qu'un pays ne ferme complètement ses frontières et gouverne en dictateur, ces solutions ne peuvent durer. Dans un monde qui se réduit, la pression envers un gouvernement mondial, un ordre établi unique, est inévitable.